Qui s’intéresse un tant soit peu à l’épagneul breton a forcément entendu parler de Patrick Morin et de son élevage réputé de Keranlouan. Auteur de deux ouvrages consacrés à l’éducation canine, dont un sorti récemment, il a bien voulu nous faire partager, autour de quelques questions, sa vision du dressage ?
Patrick Morin, revenez rapidement sur votre parcours professionnel…
P.M. : Mon père, Guy, a dressé avant moi des centaines pour pas dire des milliers de chiens avec un succès internationalement reconnu. Il était donc naturel que je fasse aussi ce métier exaltant. J’en suis personnellement aujourd’hui à plus de 40 ans de carrière. Si mon père fut évidemment mon professeur, j’ai rapidement acquis une vision différente de la sienne. Il lui fallait des chiens au caractère trempé et rapide, et il faisait fi des plus timides qu’ils considéraient comme des tocards. Moi, j’ai mis mon expérience au service de ces derniers, après m’être rendu compte que les plus sensibles étaient souvent les plus intelligents et les plus observateurs et qu’il était possible d’en tirer le meilleur pour la chasse.
Pourquoi vous êtes-vous ensuite lancé dans l’aventure littéraire ?
P.M. : Pour partager évidemment ma passion du chien. Pour moi la valeur d’un chien ne se mesure pas à ses résultats en concours, mais à ce qu’il apporte à son maître. Ce que donne le chien, vous ne l’obtiendrez que si vous le mériter. A travers ces livres, je divulgue quelques conseils, quelques astuces, pour permettre d’établir cette complicité chien-maître nécessaire à la réussite sur le terrain de chasse.
Si vous aviez une définition simple du dressage à donner, quelle serait-elle ?
P.M. : La base du dressage repose, comme je le disais, sur la connexion entre le maître et son chien. Il convient de conditionner le chien à vous obéir – j’insiste sur ce terme – et non de le forcer à le faire. En agissant ainsi, vous êtes dans une démarche éducative positive. Le courant passe, la complicité s’installe. En fait, un bon dressage, est un savant dosage entre la motivation et l’obéissance. Trop poussé, cela dépersonnalise le chien au détriment de son initiative et de sa curiosité. A contrario, s’il on lui laisse justement trop d’initiative, le dressage accompli finit par s’effacer au fil du temps. Cela nécessite donc parfois un rééquilibrage. C’est compliqué car il faut savoir rester objectif, et apprécier les réactions qui peuvent être différentes selon le gibier ou le biotope. En tout état de cause, c’est à vous d’aller dans le sens des réactions naturelles du chien, et d’essayer de le comprendre, au lieu de le rebuter en lui imposant des commandements parfois injustifiés à ses yeux.
À quel âge, selon-vous, peut-on commencer à dresser son chien pour la chasse ?
P.M. : Je considère le chiot dès sa naissance comme un diamant brut qui a toutes les capacités pour devenir un véritable bijou. A son maître d’être le bon joaillier le plus tôt possible. Pour établir la connexion entre l’humain et l’animal, la précocité est un élément primordial. Il convient donc au préalable de sociabiliser les chiots. Dès qu’ils sont âgés de 7 à 8 semaines, je sors la portée entière sur le terrain. Je les entraine derrière moi jour après jour, dans ce que j’appelle la course poursuite, toujours un peu plus vite, toujours un plus loin et en changeant fréquemment de direction. Puis, je les mets en présence d’obstacles, ruisseau, talus, etc…La découverte de la nature et de ces obstacles oblige le chien à rester en éveil pour garder le contact avec son maître. Par cet exercice, l’éducateur crée vers lui une attirance. C’est que je considère comme l’antichambre de l’obéissance. Plus de 50 % du travail est à mon sens déjà fait.
Dans vos ouvrages vous faites souvent référence au commandement de frein, de quoi s’agit-il ?
Je préfère en effet utiliser cette expression, que de parler de rappel. Car plutôt que de faire rebrousser à tout prix son chien, il me semble plus utile de le conditionner à revenir. Concrètement, il faut retenir qu’il existe 3 zones de vigilance bien distinctes dont le maître doit tenir compte. La verte lorsque le chien est calme, la zone orange quand il est énervé par des sources extérieures, et enfin la rouge lorsqu’il est surexcité par la présence d’un gibier. Crier sur son chien quand il est déjà en action est totalement inutile, voire contre-productif. C’est malheureusement ce que font beaucoup d’utilisateurs. C’est en zone verte, qu’il faut de façon calme et posée, savoir le conditionner à revenir.
Vous évoquez également de façon récurrente les instincts naturels du chien, qu’en est-il de l’arrêt ?
P.M. : Selon moi, l’arrêt est un réflexe conditionné du chien voulant saisir un gibier sans pouvoir y parvenir. Souvent naturel, l’arrêt doit tout de même être travaillé. Mais au préalable, il est nécessaire de réveiller l’instinct de prédation dès l’âge de 6 à 7 semaines. Cela commence souvent par un jeu consistant à exciter le chiot avec un apportable puis de lui lancer, ce qui contribue également au début de l’apprentissage du rapport. La seconde phase est celle de l’arrêt à vue à l’aide d’une canne à pêche. Attention toutefois, à ne pas trop pratiquer cet exercice, au risque d’avoir par la suite un auxiliaire chassant à vue sans utiliser ses facultés olfactives. Cet apprentissage acquis, il est alors possible de mettre le chiot sur une émanation directe, sur un gibier entravé ou placé dans une boite d’envol ; bien que je ne sois pas un fervent adepte de cette dernière pratique. Votre élève est ensuite prêt à passer en secondaire, comprenez à travailler sur émanation indirecte, à savoir arrêter sur une odeur laissée par un oiseau sur la végétation. Enfin, la dernière étape est ce que j’appelle l’arrêt avec intelligence de nez, c’est-à-dire sur un gibier qui s’est déplacé et a rusé pour finalement être bloqué grâce à la détermination, le calme et l’audace du chien.
Pouvez-vous nous expliquer votre méfiance à l’égard des boites d’envol ?
P.M. : C’est un outil que je ne renie pas car il facilite le travail du dresseur puisque c’est lui qui déclenche l’envol quand le chien se précipite ver la boite. Il est donc facile de faire comprendre au chien qu’il ne peut pas attraper l’oiseau et de provoquer ainsi le réflexe d’arrêt. Malgré tout, ce procédé doit être utilisé avec parcimonie, car on ne travaille qu’en émanation directe. Il ne faut aucunement que le chien prenne cela pour habitude. Car, à la chasse, la chose est plus difficile puisqu’il s’agit dans la plupart des cas d’émanations indirectes : odeur du gibier sur les feuilles, sur les branches ou tout simplement dans l’air. Autre inconvénient de la boite d’envol, le fait que vous mettiez vous-même l’oiseau dedans et que vous répandiez votre odeur autour. Le chien pourrait se rendre compte du subterfuge, et pister facilement votre itinéraire jusqu’à la boite.
Quels conseils donneriez-vous à qui veut dresser son chien pour la bécasse ?
P.M. : Éduquer un chien spécifiquement pour la bécasse me parait presque une utopie. Je réveille les instincts du chien, ses qualités naturelles pour lui donner l’envie de chasser cet oiseau, mais de là à construire un « bécassier » à la commande, il y a un pas que je ne franchirai pas. Fabriquer un bécassier – même si je n’aime pas le terme – c’est l’amener à utiliser son intelligence de nez sur un oiseau au comportement et aux émanations particulières. Pour qu’il se passionne pour cet oiseau, il faut déjà qu’il en croise régulièrement, car un jeune sujet non préparé risque de se dégouter rapidement, voire ne pas comprendre ce qui se passe si les contacts sont peu fréquents. Ainsi, idéalement il faut faire travailler le chien dans un biotope à bécasses, sur un tout autre gibier, même d’élevage, qui laissera des émanations sur la végétation. Avec cet exercice, vous reconstituez en quelque sorte le comportement de bécasses, certes « faciles », mais évoluant dans un milieu adapté.
Pour conclure que diriez-vous à quelqu’un souhaitant acheter un Keranlouan ?
P.M. : D’attendre ! Je préfère en effet vendre un épagneul de breton de 5 à 6 mois déjà éduqué et initié pour partie à la chasse, qu’un chiot tout juste âgé de 8 semaines. Le futur propriétaire ne peut être que gagnant, à condition que lui aussi, dans le futur, sache faire le discernement entre obéissance et motivation. Il faut garder à l’esprit que le chien le mieux équilibré qui soit, peut toutefois déconnecter à n’importe quel moment par la seule maladresse de son conducteur.
Où se procurer les ouvrages de Patrick Morin ?
. « Les Secrets des Keranlouan », 207 pages, 19,50 €
. « Comment élever son chien », 236 pages, 24,50 €
Commande en ligne sur www.vosrecits.com (rubrique « Éducation des chiens »)
ou par courrier à l’adresse suivante :
Éditions Récits, 20 Les Yeux des Rays
22150 Plouguenast-Langast (02.96.26.86.59)